Souvenirs d’argot
Pour Frédéric Dard (1921-2000)
Catapulté à vingt ans dans un pays à qui très peu d’intérêts me liaient, dans une langue que je maîtrisais à peine, je dois à la poésie du parler populaire, à l’élocution imagée de ces mots qui naissent et meurent au hasard des trottoirs et des estaminets, et qui vous frappent en pleine figure, d’avoir su m’acclimater à ma façon à une ville, Paris, que trop de regards étrangers ont creusée. Le premier livre français que j’ai lu dans le texte fut Voyage au bout de la nuit… De quoi vous marquer un homme ! J’en suis sorti pantelant, mais enrichi d’un goût qui m’a poussé dès lors à rechercher sans cesse dans la littérature la trace de cette parole grasse et foudroyante que les écrivains n‘ont pas inventée, mais tout au plus ramassée dans un bordel ou un bal de barrière. Cette petite galerie – qui est loin d’être complète – est un humble hommage à une tradition et à un monde qui se perdent.
Trainant la patte, honteuse comme un paysan à la cour, la langue du « milieu » fait son apparition dans le roman avec les Mystères de Paris (1843) d’Eugène Sue. « Chouriner » (poignarder), « faire la tortue » (jeuner), « avaloir » (gosier)… Ce sont des mots effrayants qui puent le sang, la misère et l’alcool, et dont l’auteur se complait de parsemer ses pages d’une netteté balzacienne comme on pimente un rôti de porc. Le mot d’argot, à ce moment-là, est une épice rare, un frisson lexical dont on ne saurait abuser, et son usage littéraire se résume pour l’essentiel à remplacer une expression d’usage commun par un échantillon de « langue verte », sans entamer la syntaxe et sans toucher à la tournure encore classique de la phrase, se dressant autour de ces météores venues d’ailleurs comme un cordon sanitaire. Il arrive alors d’entendre des voyous s’exprimer comme des petits personnages de George Sand, quitte à signaler leur dépravation par une poignée de synonymes canaille. Ça vous à l’air d’un gros mot dans la bouche encore petite d’un adolescent !
Dans les Misérables (1862), on s’en souvient, Victor Hugo se livre à un redoutable tour de force, nous faisant cadeau d’un chapitre largement truffé de jargon criminel. Trop largement, si j’ose dire. C’est puissant, c’est mystérieux, c’est noir, mais l’effet saisissant de ce charabia de banlieue se paye par une impression de jonglerie verbale qui sent un peu son dictionnaire (il y en avait de passables, même à l’époque) et finit par fatiguer.
Aristide Bruant, le chanteur de Montmartre, dont on connait le trop célèbre portrait mais dont l’œuvre, surtout littéraire, n’est plus qu’un vague souvenir, s’essaye au même exercice que Sue dans les trois tomes de ses Bas-fonds de Paris (ca. 1895), une encyclopédie romanesque de la pègre qui raconte les mœurs, la vie et bien entendu le langage des truands et des prostituées, que le chansonnier tutoyait. Là encore, cependant, l’argot se réduit à une poignée de mots savoureux (en italiques !) se détachant sur la page comme une mouche sur un mur blanchi, et que Bruant épingle comme un naturaliste pour nous en faire goûter le croustillant. Décidemment, c’est encore artificiel.
Zola est l’un des très rares écrivains du XIXe siècle qui parviennent à amalgamer le verbe des faubourgs, des usines, des bistrots à une palette linguistique équilibrée, convaincante et bien fondue. Ses personnages, saisis sur le vrai, ne sont plus nimbés d’un effluve d’encre, à peine aigri par de mauvaises intentions, mais exhalent le remugle des coins sordides de la capitale.
Néanmoins, il faudra attendre Céline pour que l’argot, tel un cancer, dépasse le simple niveau lexical pour s’attaquer à la syntaxe, au rythme, à la courbe des phrases, rongeant l’écriture de l’intérieur. Bref, pour qu’il envahisse la voix de l’auteur. Jadis renfermée dans les dialogues et dans les paraphrases didactiques, convenablement environnée et mise à distance par un français irréprochable, la « langue verte » déborde, se fond à la pensée même d’un romancier qui ne l’étale pas en tant que telle, mais la respire, la recrache.
C’est alors, au moment où la guerre de ‘39-’45 balaye les derniers reliquats du XIXe siècle, que se produit quelque chose de nouveau : le roman policier américain débarque à Paname !
Le style succinct et brutal des « pulp magazines », la leçon des Chandler et des Dashiel Hammett, la prosodie lapidaire des « durs à cuire » se déversent – moyennant les traductions souvent hâtives de la Série Noire Gallimard – dans le moule d’un français désormais prêt à l’accueillir, et à reproduire, non, à amplifier les allures du slang d’outre-mer. De cette fécondation équivoque jaillit la fronde antibourgeoisedu policier à la française, « polar » pour les amis (pardon, les « aminches »), dont la plus haute expression sont à cette époque – le second après-guerre – les romans de Léo Malet, militant anarchiste sur les bords, et la trilogie du « grisbi » d’Albert Simonin. Le personnage de Nestor Burma, cousin tricolore des Philip Marlowe et des Sam Spade, évolue dans un Paris crépusculaire au réalisme cru, mais fourmillant d’une humanité grotesque et vivante dont se nourrit un sens de l’humour à la fois désenchanté et attendri.
Chef d’œuvre du romancier Simonin qui avec Auguste Le Breton incarne le stade classique de l’argot appliqué aux histoires de gangsters, Touchez pas au grisbi (1953) préfigure, dans ses moments moins frénétiques, l’hymne à la poésie triste du « mitan » qui se dégagera de la Lettre ouverte aux voyous (1966) etduSavoir vivre chez lez truands (1967). La masculinité décadente des « caïds », l’éternelle quadrille grotesque des « caves » (les bons bourgeois, les dupes) et des « affranchis » (les « hommes » du milieu), le code d’honneur de ce monde dans le monde qui est la communauté criminelle… Dans les mains du scénariste extraordinaire MichelAudiard, le troisième volume de la trilogie (Grisbi or not grisbi, 1955) deviendra Les tontons flingueurs (1963), l’un des exemples les plus cocasses et indiscutablement réussis d’argot appliqué au cinéma. Ses dialogues légendaires sont connus presque par cœur de tout jeune homme français digne de ce nom.
C’est au début des années cinquante que surgit, sous le signe de Georges Simenon et de James Bond, l’étoile d’un auteur qui poussera le maniement argotique de la langue jusqu’aux extrêmes les plus écervelés : San-Antonio ! Le cercle se clôt, on revient au point de départ, la floraison spontanée de la parole populaire, réincarnée dans le roman policier, retrouve l’invention magmatique d’un Rabelais. Il ne s’agit plus d’importation de mots touts faits ou de tours de phrase savoureux : c’est du principe même du parler canaille, de sa créativité primordiale, de son goût de l’analogie bouffonne, de la déformation, de la comparaison bien vue, que jaillit la prose hilarante de ce prétendu commissaire tombeur de femmes. Dans un feu de file de régionalismes, cuirs et calembours idiots ; dans un foisonnement de suffixes « dessalés » et d’énormités gargantuesques, se dessine un cantique jubilatoire de la langue de Voltaire et de son infinie, ronflante souplesse. San-Antonio est le secret de Polichinelle de la littérature française : aimé sans distinction par les incultes et le public savant, il n’est honni que par les « cons », qu’à l’égal de Brassens il a fustigé tout au long de sa carrière.
Ce grand ruisseau, hélas, se tarit. Au jour d’aujourd’hui l’éblouissante imagination argotique, si féconde en métaphores et tropes spontanés qui auraient charmé un Giambattista Vico, laisse de plus en plus sa place à un idiolecte étriqué fondé sur l’application de simples principes mécaniques (le « verlan », par exemple). Aucune comparaison n’est possible. Il ne reste ainsi qu’à signaler, en guise de conclusion, les romans d’Alphonse Boudard, l’un des derniers chantres de la vie marginale, et certains des livres de JeanVautrin, qui a parfois su retrouver – notamment dans Le cri du peuple (1998) – le rythme et l’accent d’un patois parisien où résonne, chargée de sagesse, la chanson des siècles.
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